LA RESISTANCE A PLOUARET
TEMOIGNAGE D'ALBERT JACOB



Albert JACOB
Albert Jacob, Résistant actif au sein de la compagnie FTP. La Marseillaise, il échappa de peu à l'arrestation lors de la rafle de Plouaret le 23 avril 1944 (voir récit).
Tout d'abord quels sont les motifs qui ont créés la Résistance ?
A la débâcle de juin 1940, Plouaret reçut comme partout ailleurs son lot d'envahisseurs allemands. Ils arrivèrent comme des grands seigneurs, le 8 juin 1940, (date de l'appel du Général De Gaulle).
Le début de l'occupation se fait sans trop de heurts entre la population et les occupants, ceux-ci recherchant plutôt la collaboration des Français.
Mais dans une guerre, il n'y a pas que des avantages d'être vainqueur, car pour occuper un ou plusieurs pays conquis il faut énormément de troupes : ce qui signifie un prélèvement de toutes sortes dans son pays et surtout des hommes en âge de travailler, ce qui diminue la production nationale du vainqueur.
Pour y remédier, il dispose en tant que conquérant de la " réquisition " par l'intermédiaire des maires des communes conquises. Ce fut tout d'abord la réquisition des véhicules automobiles, ensuite celle des chevaux ( et les meilleurs bien entendu ), puisqu'ils en avaient le choix, ce qui diminua notre cheptel chevalin et paralysa notre agriculture, surtout en milieu rural comme à Plouaret où le cheval est " roi " à cette époque, le tracteur étant inexistant ; et enfin les bicyclettes.
Ensuite ce fut le tour des récoltes : fourrage, blé, avoine, pommes de terre. Les citadins se mirent à manger des rutabagas et des topinambours car ils étaient plus mal lotis que nous à la campagne.
Bien vite un sentiment de haine naquit dans la population. Des heurts se produisirent même parmi les éleveurs ou paysans ; " pourquoi moi et pas lui ? ". Ces réquisitions ressemblaient parfois à une loterie, où peut être une intervention d'une autorité locale avait ses effets sur les requérants. Ceci augmentait l'animosité entre ceux qui rentraient de la présentation à la réquisition avec leurs animaux et ceux qui rentraient en possession d "un " bon " à faire honorer par la suite et souvent très longtemps après.
Toute cette injustice se traduisait par des soupçons envers certains qu'on avait tendance à qualifier de collaborateurs : "les collabos".
Il y eut des réquisitions d'hommes pour travailler sur les chantiers allemands : construction de blockhaus, chicanes antichars sur les routes, ... Sur ces chantiers une certaine " résistance " naquit, les réquisitionnés cherchant à travailler le moins possible, ce qui provoquait des menaces de la part des soldats allemands et responsables de l'ouvrage. Le matériel ( manches de pioches, brouettes par exemple ) étaient cassés ; les machines sabotées, le dosage des matériaux mal fait ; enfin tout ce qui pouvait nuire au déroulement de ces travaux, dans l'espoir de hâter la libération de notre pays par les Alliés et les soldats de la France Libre.
Une anecdote parmi tant d'autres : on a vu des tombereaux traînés par des chevaux remplis de sable au départ de Plouaret et arriver au Gollot en Plounévez-Moédec vidés de leur contenu, un trou ayant été préalablement pratiqué dans le plancher du tombereau.
C'est à partir de là que les allemands s'aperçurent qu'il y avait une "résistance".
La main d'œuvre faisant défaut en Allemagne pour faire tourner les usines, ils instaurèrent le "Service du Travail Obligatoire" ou STO, si bien connu des jeunes gens de la classe 40 et suivantes et principalement la classe 42. Quelques-uns de ceux-là n'ayant pas eu le temps de s'organiser partirent travailler en Allemagne, avec promesse de faire rentrer un prisonnier de guerre, promesse non tenue d'ailleurs, d'ou le refus de partir de ces jeunes gens appelés " réfractaires ". Ceux-ci étaient donc recherchés par la police allemande et également par certains éléments de la police Française qui avait reçu cette triste mission, que beaucoup de gendarmes ont su contourner en faveur de nos jeunes " traqué " parfois par des français qu'on appelait " les collabos " qui eux à leur tour subissaient des " représailles ". Ils devaient donc quitter leur foyer et se cacher chez des parents, amis ou voisins sûrs.
Sur le plan national, la " Résistance " s'organisait suite aux appels lancés de Londres. Des responsables furent nommés dans la région ; ceux-ci trouvèrent un accueil favorable auprès des jeunes " harcelés " de partout. Encore fallait-il faire une sélection assez rigoureuse, et le recrutement devint facile dans la région de Plouaret.
Un groupe de " Francs Tireurs et partisans " appelés aussi patriotes a été formé à Plouaret, par Auguste Le Pape, lui aussi de la classe 42. Ce groupe était placé sous les ordres de Yves Trédan, également de la classe 42, habitant les Sept Saints en Vieux-Marché qui commandait la première Compagnie de Résistants appelée "La Marseillaise".

Ses activités ont été tout d'abord et jusque en fin de 1943, le recrutement, la propagande contre les STO, coups de main dans les mairies pour récupérer des cartes d'identité vierges, établissement de fausses cartes d'identité pour les réfractaires au STO, diffusion de tracts et journaux clandestins, sabotages de panneaux indicateurs allemands dans la région de Plouaret en octobre 1943. En décembre, récupération d'armes parmi la population, sabotages de lignes téléphoniques et câbles souterrains entre Plouaret et la RN12 et entre Plouaret et Lannion, destruction de dépôts de ravitaillement situés derrière la gare, baraquements brûlés.
Au mois de Janvier 1944, lorsque le groupe fut formé, celui-ci reçu d'autres missions plus importantes : déraillements de trains par sabotage de la voie ferrée en direction de Plounérin et de Trégrom. Une grosse clé avait été fabriqué par un " patriote " forgeron. A cette époque les rails étaient reliés par des plaques de métal et des boulons, alors que maintenant les rails sont soudés.
Cette clé servait donc à déboulonner un rail, côté intérieur de la voie, il suffisait de l'écarter à l'aide d'une barre de fer et d'introduire une cale entre les deux bouts de rails pour faire tomber la locomotive et les premiers wagons sur l'autre voie, ce qui avait pour but d'obstruer les deux voies simultanément, donc paralysie plus longue du trafic.
D'autre part cette façon d'opérer causait moins de risques pour les chauffeurs et mécaniciens (Français d'ailleurs) au lieu de faire tomber le train dans un ravin par exemple. Le choix d'un ravin était primordial également afin de ralentir le dégagement des voies par le matériel de dépannage.
Ces déraillements se faisaient toujours de nuit malgré les patrouilles allemandes le long des voies. Le dispositif était le suivant : des guetteurs étaient postés de part et d'autre, et à bonne distance de l'équipe de déraillement. Ces guetteurs avaient pour mission de prévenir celle-ci à l'aide d'une ficelle reliée à une branche plantée à proximité du lieu du déraillement.
A malin, malin et demi : les allemands avaient trouvé l'astuce de faire devancer les trains par une draisine, sorte de petite locomotive sacrifiée ; il a fallu que l'équipe de déraillement trouve une autre solution qui consistait à opérer en deux temps : préparation et déboulonnage avant le passage de la draisine et aussitôt écartement des rails. Avec la complicité des cheminots, les " patriotes " connaissaient l'heure de passage des trains de militaires et de matériels allemands, ce qui permis à ce groupe de n'avoir aucune victime à déplorer parmi la population Française ; par contre il serait difficile d'avancer un chiffre exact des tués et blessés parmi les militaires allemands et le nombre de véhicules endommagés, car on le comprendra aisément, l'équipe de déraillement cherchait à déguerpir le plus rapidement possible une fois la mission terminée.
Ces missions devaient être exécutées à l'insu des parents et des voisins , ce qui n'était pas chose facile à cause des chiens à la campagne, dont certains trop bruyants étaient supprimés, que les " Résistants " rencontraient sur le chemin de l'aller ou du retour. Pour détourner la curiosité des parents de ces sorties nocturnes, presque tous avaient trouvé la solution de dormir dans l'écurie, coutume qui venait à peine d'être perdue à l'époque.
Mais un autre ennemi vint compléter la liste des adversaires de cette équipe de Plouaret (tout au moins une fois en cette époque hivernale). On a parlé des parents, voisins, amis, chiens, patrouilles allemandes sur les routes et voies ferrées.
En février 1944, le groupe de " résistants " reçut pour mission de dérailler le train de matériel de guerre allemand entre Plouaret et Plounérin. La neige tombait ce soir là, pas de difficultés majeures à l'aller, à part la notion de l'orientation et le repérage du lieu de déraillement. Le " travail " a été effectué comme d'habitude, le déraillement a eu lieu comme prévu, et à ce moment précis la neige cessa de tomber.

Un grand malheur pour notre équipe qui ne s'attendait pas à ce contre temps ; celle-ci laissa des traces de pas sur le chemin du retour et dans les champs traversés. Arrivés sur la route départementale D11 (Plouaret - Beg-Ar-H'ra) pour essayer de confondre nos traces nous avons du marcher dans des traces de véhicules automobiles, car il faut le signaler la majeure partie du groupe habitait à proximité de cette route. Malgré cette précaution, les allemands avaient localisé ces vaillants " Résistants ", peut-être inconscients parfois, ou ayant le mépris du danger, n'ayant comme moyen de défense que leur courage et la connaissance de la région.
Cette mésaventure ne découragea pas pour autant nos vaillants soldats de l'ombre et, d'autres déraillements et d'autres activités eurent lieu par la suite à un rythme de plus en plus accéléré jusqu'à la nuit mémorable du 22 au 23 avril 1944 au petit matin, où vraisemblablement par dénonciation, presque toute l'équipe fut ramassée lors d'une rafle monstre à Plouaret. Torturés pendant 15 jours à la feldgendarmerie de Plouaret, qui avait le triste privilège d'être doté de ces sinistres énergumènes qui avaient droit de vie et de mort sur toute la région de Plouaret. Un de ces " patriotes " (c'est à dire moi-même) figurant sur la liste des " dénoncés " réussit à s'échapper miraculeusement par quatre fois ce jour-là n'ayant que mon béret basque transpercé de part et d'autre par une balle.
Après 15 jours de torture et un jugement sommaire, ces 7 Plouaretais ont été fusillés à Ploufragan le 6 mai 1944.
Mais déjà d'autres groupes étaient formés à Plouaret, Vieux-Marché, Plounévez-Moédec, Trégrom et la relève fut assurée.
La "Résistance" continua ses actions contre l'envahisseur dans le secteur : déraillements, ponts sautés, sabotages de voies ferrées, et même attaque de petits convois afin de récupérer des armes. Toutes ces actions ont mobilisé les troupes allemandes dans l'Ouest les empêchant de venir en renfort en Normandie où les troupes Alliées avaient débarqué le 6 juin 1944.
Beaucoup de jeunes Plouaretais sont allés grossir les rangs de la " Résistance " dans les maquis de Vieux-Marché et Trégrom où le terrain était propice.
A l'arrivée des troupes Américaines dans la région de Plouaret où elles n'ont pas eu à intervenir grâce à la vaillance de nos " résistants ", le secteur était nettoyé : tous les allemands qui s'étaient attardés ont été capturés par les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) ainsi appelés à la fin de l'occupation.
Tout ceci reflète ces longues années d'attente, de refus de se soumettre à la domination de l'armée allemande ; cette " RESISTANCE " partie de rien et qui au fil des mois et des ans a su et pu s'organiser dans l'ombre pour combattre l'envahisseur.
Quant aux 7 jeunes gens qui avaient été fusillés à Ploufragan le 6 mai 1944 dont leur âge variait de 17 à 24 ans, nous avons été les rechercher le 22 août 1944 dans la foret de l'Hermitage-Lorges où ils avaient été dissimulés parmi les arbres ; 15 jours après la libération de Plouaret et de ses environs.
Je passe sur les détails de cette journée car elle fut horrible, insupportable.
La "RESISTANCE", un mot qui sera oublié dans quelques années, quand les acteurs n'y seront plus, et pourtant c'est grâce à ces " déboulonneurs " que nous avons retrouvé notre LIBERTE si chère payée. Je souhaiterais que nos petits-enfants s'en souviennent quand ils passent devant les stèles érigées ca et là dans notre région à la mémoire de ceux qui n'ont pas eu la chance d'assister à la libération de notre pays.

Plouaret, 310 rue de Kerdanet, le 1er octobre 1989.

Albert Jacob